
Acerca de
Le couloir
" Il n'est pas certain qu'il puisse se réveiller... Son état est critique ..." m'a-t-elle dit.
" Est-ce que je peux au moins le voir s’il vous plaît ?" lui avais-je répondu.
J'avais gardé mon sang froid, cette force intérieure dont le Seigneur m'avait gratifié.
Quelques années auparavant, un jour qu’on priait pour moi, il m'avait été dit ceci : " Dieu te donne des épaules solides afin que tu puisses rester debout quel que soit la dureté de l’épreuve ».
Effectivement, peu importe le degré de difficulté que je rencontre, les gens sont toujours surpris de me voir avec le sourire ou un visage détendu.
Un aide-soignant m'aida à me vêtir de cette tenue spéciale, il m'orienta vers cette pièce.
Le bruit assourdissant des machines commença à faire monter une angoisse indescriptible en moi, cette même sensation que j'ai ressenti au 3ème jour de son hospitalisation.
Malgré son état de santé, il avait très bonne mine, il souriait, nous nous chahutions.
Cette mélodie terrifiante, je ne l'avais entendu que dans les séries télévisées, elle était réelle.
J'entrai tout doucement, il était là, couché, inconscient, branché de partout.
" Votre père a fait un arrêt cardiaque, nous avons tout essayé, il n'a pas réagi ! "
Cette phrase qui m'avait été dite vingt minutes auparavant trottinait dans ma tête.
Je devais prendre la relève cet après-midi du 10 Mars 2023, naturellement je me rendis dans sa chambre, je ne fus pas stupéfaite de voir qu'elle était vide. Depuis une dizaine de jours que nous étions là, on le faisait descendre avec son lit pour effectuer les différents examens.
Je m'installai sur la chaise attendant qu'il revienne.
Quarante minutes après que je sois rentrée dans la chambre, un monsieur en blouse blanche fit son entrée :
" Vous avez trouvé la chambre vide ! Il faut savoir que votre père a eu un malaise, il a été conduit en réanimation. Vous pouvez attendre qu'il soit stabilisé en restant ici ou dans la salle d'attente mais je vous recommande de vous rendre là où il se trouve pour avoir plus d'informations."
Deux heures avant ma venue, je me sentais très lourde, il y avait comme une boule qui s'était logée dans ma gorge, voyageant vers mon estomac, rendit mes mains moites : il fallait trouver un stratagème pour ne plus aller à l'hôpital.
- " Allo, maman, je n’ai pas suffisamment de liquidité sur moi, si je pars ça sera coincé pour revenir parce que je n’ai pas envie de promener pour chercher un guichet fonctionnel"
- " Je te fais venir quelqu'un avec de la monnaie, vas-y Michelle, je serai là-bas aux environs de 19h30"
Il était couché, les fils un peu partout sur lui, un énorme tuyau dans la bouche, il avait le regard vitré, les yeux entrouverts.
Je me mis à le tâter, son corps était chaud. La seule chose qui put sortir de ma bouche était une prière en langue à l’image de Sara, dans l’ancien testament, qui balbutiait devant le temple, interrompue par le prêtre Eli qui l’invita à aller cuver son vin ailleurs. Je me contenais, je retins mes larmes, cependant les mots qui sortirent de mes lèvres me firent éclater en sanglots :
" Papa, je t'aime, notre Seigneur Jésus t'aime"
J'appréhendais ce moment, comment puis-je vous dire que je savais au fond de moi que cette fois-ci était vraiment la dernière.
La nuit fut longue et pénible, malgré le réconfort de maman, je pleurais sans cesse. J'ai fait toutes les prières que je pouvais à l'aide de YouTube ( rosaire, chemin de croix , litanies …), j'ai essayé de me distraire en regardant des vidéos humoristiques jusqu'à l'aube. J'ai mis mes téléphones en mode avion.
Ma mère ayant toute de suite compris que je n'avais pas pu fermer l'œil de la nuit m'a donné un somnifère. J'ai pu m'endormir de 9h à 16h.
A mon réveil, ma benjamine était là devant moi:
- Va te doucher et t'habiller, on va le voir à l'hôpital
- C'est fini ?
A vrai dire, je n'ai pas entendu, sinon que j'ai refusé d'entendre ce qu'elle a voulu me dire, par la suite lorsqu'elle s'est rendu compte que je ne l'écoutais pas vraiment elle m'a dit :
- Les visites c'est entre 16h et 18h, on ne doit pas perdre de temps, à propos maman demande de prendre ses pièces dans sa chambre, tu sais où elle les a déposés hier.
- C'est pour faire quoi avec ?
- Elle doit remplir des papiers à la réanimation avec... dépêche-toi...
- J'ai pas envie
- Michelle, ils nous attendent.
La mort dans l'âme, nous nous rendîmes à la clinique, lorsque se referma l'ascenseur, Johane choisit le -2, c'était évident, c'était vraiment fini. En principe si nous devions effectivement nous rendre en salle de réanimation, elle aurait dû choisir le 2ème étage, elle a plutôt choisi celui où se trouvait la morgue.
Ma petite sœur me prit dans ses bras, pour me consoler, j'étais totalement effondrée. Il est parti à 14h14, c'est moi qu'on attendait pour le mettre dans la chambre froide de la clinique.
Ma petite sœur avait été la dernière à lui parler aux environs de 12h, elle lui a dit : "papa, si tu es fatigué vas-y, n'aies pas peur, Jésus est avec toi, j'accepte de te laisser partir dans la paix, sois tranquille"
L'ascenseur s'ouvrit, ma sœur me tint par la main, je ne voulais pas avancer, lorsque j'ai vu mon grand-oncle Placide, les yeux remplis de larmes, je me suis mise à hurler, mon cœur s'est déchiré en mille morceaux : "mon papa, je veux mon papa ".
Maman est sorti, s'avançant vers moi : "Viens Michelle, viens, viens le voir, il beau et tout rajeuni, comme s'il dort, viens"
Effectivement papa avait le visage rajeuni et frais depuis le début de sa dernière semaine d'hospitalisation.
Entre pleurs et cris stridents, refusant d'accepter de voir papa allongé là sur ce brancard, sans vie, j'ai entonné ce chant à la gloire de Dieu : "Lève les yeux vers le ciel, quelque chose se passe en ce moment, le Seigneur Jésus s'est levé dans sa gloire. Papa tu portes désormais un nom nouveau tu es sa couronne de gloire, le Seigneur en a décidé, il n'en sera pas autrement."
La porte s'est refermée, nous l'avons laissé. J'ai demandé deux choses, la 1ère que tous ses enfants soient réunis autour de lui ( Dieu m’a exaucé) et la seconde j'ai souhaité me rendre au Saint Sacrement pour rester en prière, afin que le seul et le véritable consolateur, fasse son œuvre dans mon cœur blessé par cette séparation douloureuse.
Je suis restée devant la Présence Réelle , je me suis abandonnée totalement à Dieu, je lui ai tout livré, je ne pouvais rien faire d'autres que de tout remettre dans les mains de Dieu.
Certaines situations qui nous dépassent nous imposent le silence au regard de notre foi et surtout lorsque nous demandons au Seigneur de prendre le contrôle lorsqu'il y a une tempête en plus de l'orage et que nous sommes seuls dans la barque.
La pluie et le vent souffleront, la tempête se déchaînera, mais ma maison est en Jésus, je n'aurai jamais jamais peur.
Nous ne sommes rien en fait, quand on vient on se frappe la poitrine, on minimise ou on prend les gens de haut, on oublie parfois qu'on nous déposera dans un casier et après dans un cercueil et dans un trou : sachons faire preuve d'humilité en toute chose, ayons la crainte de Dieu dans chacune des actions que nous posons.