2. Etranges coïncidences

3 mois après l'arrivée de Yoakim, ils s'installèrent dans le quartier en face du Vieux- Port de Montréal, un secteur très animé, accueillant beaucoup de touristes. Pour les fêtes de fin d'année, il y avait de très belles attractions, ils prirent la décision de se jeter à l'eau en visitant ce merveilleux site.
Marchant mains dans la main, Mounira eu un choc en traversant la rue pour rentrer chez eux. Elle le vit à nouveau.
- Tu es toute tremblotante tout d'un coup, tu as vu un fantôme ou quoi ?
- Presque...
Le vieil homme était assis sur un banc, il se soufflait les mains, l'hiver avait déjà commencé, il avait froid.
Dans la nuit, pendant que Yoakim dormait à poings fermés, Mounira prit un lunch bag, mit du chocolat chaud bouillant à l'intérieur d'un mug en inox inutilisé depuis des années qu'elle avait ramené d'Abidjan.
Dans un bol en carton jetable, elle servit le reste de son diner. Elle eût à cœur de mettre sous le bol une petite enveloppe contenant 1 billet de 100 dollars.
Elle sortit de l'immeuble, traversa la route. Il était encore assis là, à 2 heures du matin.
Elle lui remit le sac isotherme :
" Vous devez avoir faim, et il fait tellement froid, prenez cette couverture chaude et ce sac, il y a de quoi vous réchauffer à l'intérieur, du chocolat chaud, un petit rien, je me dis que vous n'avez certainement pas dû souper."
Il la regarda avec beaucoup de gratitude, il prit la couverture et la mit sur son vieux manteau défraîchi.
Elle l'entendit dire d'une voix grave et chaleureuse avec l'accent québécois :
"Merci, belle dame , que Dieu se souvienne de vous".
Il devait être probablement d'origine haïtienne, ils sont très nombreux au Canada ayant vécu dans ce pays depuis plusieurs décennies.
" De rien, protégez-vous, essayez de trouver un refuge où passer vos nuits."
Elle retourna chez elle et s'endormit.
Le lendemain matin, elle reçut un coup de fil d'un conseiller client de la banque où était domicilié son compte :
" Madame Yeboua, nous avons la joie de vous annoncer que vous êtes l'heureuse gagnante du tirage au sort annuel que nous faisons pour nos clients, vous allez recevoir un chèque d'un montant de 5100 dollars, en plus de cela nous vous offrons un terrain dans la ville de Donnacona."
Les bras lui en tombaient, elle était estomaquée si bien que sa tasse de café se brisa en mille morceaux.
- Tu es bien chanceuse ma chère, à peine 9 mois de présence dans ce pays, soit 9 mois où tu as ouvert ce compte et tu te retrouves gagnante d'un montant qui correspond sensiblement à 2 350 000 FCFA et un terrain pouvant abriter un grand duplex!
- Je t'assure, je crois rêver, nous avons mis toutes nos économies dans ce projet d'immigration et nous sommes récompensés.
- C'est que le Dieu de tes parents existe, tu as épousé un athée comme toi, mais on dirait que leur Dieu existe...
- Yoakim Yeboua !
- C'est mon nom!
Ce même soir, elle regarda l'autre côté de la rue depuis sa fenêtre, il n'était plus là.
"Au moins il a certainement pu faire bon usage des 100 dollars que je lui ai remis et il a probablement pu trouver un refuge" se dit-elle intérieurement.
En plus de la certification qu'elle avait obtenu pour être gardienne d'enfant, elle avait pris la décision de faire une formation plus accentuée de puéricultrice ouvrant sur l'option d'infirmière infantile.
Le jour où elle devait aller passer son entretien d'embauche, elle le vit à nouveau. Manifestement, il a une attirance spéciale pour les arrêts de bus. S'approchant d'elle, il lui dit : " Tout va bien se passer" puis il s'en alla.
Avec brio, elle réussit son entretien, elle fut embauchée avec le salaire d'une personne qui avait au moins 15 années d'expérience dans ce domaine d'activité.
6 années se sont écoulées, elle ne l'a plus revu.
Les tentatives de procréation restaient infructueuses, elle s'était finalement résolue à ne plus y penser.
Au cours de leur 4ème année de présence sur le territoire canadien, Yoakim eut une faiblesse, dans le désarroi , il eut une aventure avec une vietnamienne, de cette relation coupable naquit une petite fille.
Il fit ses aveux à Mounira, elle était meurtrie, son couple battait de l'aile, il était tout pour elle et il l'avait trahi parce qu'il recherchait un héritier, lui qui était l'unique enfant de ses parents.
10 ans de mariage , aucune présence d'enfant.
Après une séparation d'un an, elle accepta de lui pardonner avec beaucoup de difficultés. Même si la petite lui rappelait son infidélité et son impatience, elle fit en sorte qu'il ne soit pas coupé de son unique descendance, permettant ainsi que l'enfant puisse passer des week-end avec eux.
Un soir qu'ils étaient devant la télévision, Yoakim lui fit cette proposition :
- Essayons la fécondation in-vitro, nous n'avons rien à perdre, je suis en semaine de repos, je te suggère que nous allions à la clinique demain.
- Je ne veux pas vivre sur de faux espoirs.
- Cela ne nous coûte rien d'essayer.
- En plus tu sais que depuis quelques temps je ne suis pas au mieux de ma forme.
- On pourra profiter pourque tu puisses faire un check-up complet, moi également je vais faire, je me dépense et m'épuise énormément au boulot.
La nuit fut agitée, Mounira ne faisait que voir le vieil homme dans son rêve, et lorsqu'elle se réveilla, elle sentit sa présence dans l'appartement, comment cela pouvait être possible, c'était tellement étrange, au moment où elle voulu se recoucher, elle fut conduite à se diriger vers la fenêtre de leur chambre, elle ouvrit délicatement les rideaux, il était là assis sur ce banc, il leva les yeux vers elle.
"Serait-ce mon ange-gardien ? Qui est-il ? Il me suit partout... enfin je l'ai pas revu depuis 5 ans, il n'a pas changé... "
Il se leva du banc et traversa la route, elle prit peur et alla se coucher.
Avant de se rendre à la clinique, ils s'arrêtèrent rapidement au supermarché pour y faire quelques courses, ils avaient eu la chance d'obtenir un rendez-vous, généralement sauf cas d'extrême urgence, ils n'en auraient pas pu avoir avant les 3 prochains mois.
A la sortie du supermarché, il était encore là, instinctivement Yoakim sortit une pièce d'un dollar et lui remit. Mounira était tétanisée.
" Vous êtes enceinte Madame!"
C'était l'euphorie, le couple pleurait à chaudes larmes, ils étaient venus pour avoir plus d'information sur le processus de fécondation in-vitro, ils repartent avec cette merveilleuse nouvelle.
- Vous ne le saviez pas, il semble que vous soyez à la fin de votre 4ème mois
- C'est juste incroyable docteur, j'ai toujours mes menstrues, je n'ai rien senti comme changement corporel, je n'arrive pas à réaliser...
- Vu votre passif, nous allons vous faire un cerclage, nous allons vous mettre en repos et nous allons vraiment beaucoup surveiller cette grossesse afin que vous ne puissiez pas la perdre.